mercredi 7 avril 2010

Voile et réclusion 1

En 1913, Mansour Fahmy, à la Librairie Félix Alcan a publié son livre, La Condition de la femme dans la tradition et l'évolution de l'islamisme. © Éditions Allia 1990, 2002.

Voici ce que dit Mansour Fahmy à propos de son livre : « Mahomet eut beau vouloir relever, en théorie, la condition du sexe dont les charmes ont agi si profondément sur sa sensibilité poétique, en dépit de ses intentions, l'islam la dégrada. Il a protégé les femmes contre l'agression de l'homme, mais il les a étouffées en rendant difficile l'échange entre elles et la société qui les entoure, et par là, il leur a ôté les moyens mêmes de profiter de cette protection. ».

La démonstration de cet auteur consiste à prouver que le port du voile en pays musulman n’est pas lié aux moeurs sexuelles de l’époque mais aux impératifs sociaux. Je vais essayer d’esquisser ce que l’on pensait, il y a un siècle, du voile et de la réclusion en Islam.

Tout laisse à penser que la prescription du voile et de la réclusion ont été dictées par Allah pour les femmes du Prophètes et à elles seules :
- Déjà dans les années 1880, un savant hollandais, le professeur Snouck Hurgronje, de Leyde, fit la critique d'une erreur généralement admise : « Il est singulier de voir des savants européens chercher à s’appuyer sur le verset 53 du chapitre 32. Or il ne s'agit, en ce passage, ni du voile ni des femmes musulmanes considérés d'ensemble…Ce verset, en effet, concerne uniquement les femmes du Prophète. Et pour cause, Mahomet a fort bien distingué entre ses propres femmes et celles des autres. Les prophètes (David, Salomon, etc. et Mahomet), sont de la classe dite sacrée. Ils sont tous des hommes et ont toujours su se réserver des privilèges en ce qui concerne le nombre, la conduite et la vie de leurs femmes. »
- Il faut noter qu'un verset du Coran recommande aux femmes (en général) de gar­der une tenue correcte (chap. 33, v. 59). Mahomet, qui a eu jusqu’à 9 femmes légitimes, pour prévenir toute tenta­tion diabolique, interdisait la solitude avec une femme. De ces germes, un usage naquit, grandit et se déve­loppa dans certains pays et dans certaines classes, alors qu'ailleurs il ne parvenait pas à s'implanter. Certains milieux se sont montrés favorables au voile et à ce qu'il comporte, d'autres s'y sont montrés réfractaires. Il appartient à l'analyse historique et sociale de définir les raisons de ces différences.
- A en croire les traditions, c'est Omar, l'un des amis du Prophète, qui aurait conseillé à celui-ci de séquestrer ses femmes : "O envoyé de Dieu, aurait dit Omar à Maho­met, tes femmes reçoivent les honnêtes et les malhon­nêtes entre les hommes ; n'ordonneras-tu point la réclusion des mères des croyants" (Housn al oussoua). « Séquestre tes femmes » (Bokhari), aurait-il dit, selon d'autres traditions, au Prophète qui hésitait à prendre une pareille mesure.
- Il est fort possible que, sur les instances de son ami, Mahomet ait formulé l'ordre divin de mettre obstacle aux libres rapports entre femmes et hommes. D'après la tradition, cette révélation fut promulguée en l'an 5 de l'Hégire, le soir des noces du Prophète avec Zeinab Bint Djahch. Mahomet, nous dit la tradition, avait invité beaucoup de monde à ses noces avec Zeinab. Les convives, au lieu de s'en aller après le dîner, demeurèrent. Mahomet, souhaitait vivement que ces invi­tés se décidassent à prendre congé de lui. Il le leur manifesta, mais ils n'y firent aucune attention, Le Prophète in­voqua alors le secours de Dieu. Dieu intima donc à son envoyé l'ordre d'informer les hommes qu'ils ne devaient pas prolonger la séance après le festin, de ne pas de causer directement avec les femmes du Pro­phète, à moins qu'elles fussent isolées d'eux par quelque écran qui les défendît des regards.

Les classes sociales et les rites :

Un lien assez étroit lie le problème du voile et de la réclusion des femmes à celui des classes. Dans l'Orient musulman, il y a deux classes : les classes riches avec leur "harem" et la classe des travailleurs et des ouvriers, dans laquelle, chacun, en général, a une femme unique avec laquelle il partage sa besogne et sa vie. Pour la première, la femme elle est un objet, que l'homme avilit et réserve pour son égoïsme. Pour la seconde, Elle est aussi libre que son époux, apporte sa part d'activité, de sentiments et de pensées à la lutte commune, et elle tra­vaille côte à côte avec son mari pour gagner leur vie. La sentence coranique du chapitre 32 concerne uniquement les femmes de Mahomet. Elle insiste aussi sur le fait que le hidjab prescrit par le Prophète à ses femmes (classe supérieure) ne doit pas nécessairement être obligé à toutes les musulmanes (autres classes). L’Islam n'interdit aucunement que l'on voie le visage de la femme, et même que certains actes de dévotion du pèlerinage n’obligent pas les femmes de se cachent la figure ou les mains.
- La parole d’Allah dit : "O Prophète, dis à tes femmes, à tes filles, aux femmes des croyants d'abaisser sur leur front leur djilbab, on les distinguera par là, et elles ne seront pas exposées à être insultées". C’est clair. Mais nous notons d'abord que, d'après les lexicographes, le djil­bab rapproché du khimar, de la milaah, du ridaa ou même du iza, sont des noms de vêtements, un habit qu'on met pour sortir, en sorte que ce verset énonce une prescription pour l'habillement des femmes qui sortent de leurs demeures, et a pour objet de leur fournir un aspect qui les distingue des esclaves ou des femmes de classes inférieures, lesquelles sortent sans rien mettre par-dessus leurs vêtements domestiques. Ce commandement coranique ne contient manifeste­ment aucune prescription générale qui enjoigne aux femmes de se voiler le visage, et l'on se donne une peine inutile lorsqu'on cherche à tirer argument de ce texte pour expliquer et justifier l'usage du voile dans certains pays de l'islam. Néanmoins, reconnaissons qu'on peut à la rigueur y trouver, au moins en germe, une obligation d'une tenue d'où a pu dériver l'idée de costumes plus ou moins adaptés à cacher le visage.
- Les rites : Les prescriptions relatives à l'obligation du voile sont plutôt l'effet des mœurs. Dans l'histoire de l'islamisme, il est en effet souvent difficile de séparer le point de vue social du point de vue purement religieux. L'islam s'est donné pour tâche de régler la vie des croyants jusque dans ses détails, mais, au cours de son développement historique, il s'est vu contraint de s'adapter aux nécessités sociales, aux condi­tions contradictoires de la réalité humaine. Chez les chaféites, il est sounnah (c'est-à-dire préféré) de voir la femme avant le mariage. Un homme ayant annoncé à Mahomet qu'il venait de se fiancer à une femme, le Pro­phète lui recommanda de la voir (Moslim).
Si le Texte n'est pas un texte probant pour la prescrip­tion du voile, il l'est, par contre, en ce qui concerne la distinction des classes. En commandant aux femmes des croyants d'avoir une tenue spéciale, le Dieu du Coran voulait qu'elles fussent ainsi distinguées des femmes esclaves, afin d’éviter des rencontres inopportunes. En vue de prévenir pareille déconvenue, Mahomet prescrivit aux femmes libres de se distinguer des autres par leur tenue. En somme, la religion et la loi religieuse sont, au moins directement, hors de cause en ce qui concerne le voile s’il n’y a pas de classes sociales dans la société. Le port ou non du voile est donc une convention des musulmans. Le voile est l'oeuvre des mœurs. Dans les premiers siècles de l'Hégire, le voile et la réclusion des femmes n'eurent d'autre motif, ni d'autre but que celui qui a été signalé plus haut, à savoir : la distinction des classes.

Au total
Le voile, recommandé par Allah aux femmes du prophète,
- est une affaire de moeurs,
- il sert à distinguer les classes sociales
Un mécréant saurait passer le pas et le comparer à une certaine étoile jaune funeste.

Comment alors des textes aussi précis ont pu perdre toute leur valeur pratique, et comment la réclusion a pu devenir si rigoureuse ? Comment expliquer que les mœurs de certains pays musulmans et de certaines classes interdisent strictement de voir le visage d'une femme ? Suite au prochain post.

3 commentaires:

  1. Salut Mali,
    Très beau texte, écrit de manière soignée. On attend la suite. Il faut quand même se méfier des textes écrits en pleine période coloniale. Ceci dit, la réflexion de l'auteur est ici sensée.
    Je trouve la comparaison avec l'étoile de David exagérée. Il y a d'autres signes de distinction plus proches du voile.
    Au plaisir de te lire !

    NVS

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  2. Cette analyse me laisse perplexe. Elle parle de classes sociales et d'esclaves. Or à ma de connaissance, l'Islam a aboli l'esclavage et prônait l'égalité entre les croyants.
    لا فرق بين عربي و أعجمي إلاّ بالتقوى
    En outre, le texte du verset cité plus haut semble clair:
    "O Prophète, dis à tes femmes, à tes filles, aux femmes des croyants d'abaisser sur leur front leur djilbab, on les distinguera par là"

    Toutes le femmes de croyants sont donc concernées aussi apparemment. Je ne vois donc pas d'où vient l'interprétation relative à la distinction des classes sociales.
    La première partie de ce post est très captivante mais l'interprétation qui s'en suit me semble malheureusement peut crédible.
    Etant moi-même contre le port du voile, j'aurais aimé trouver une analyse plus pertinente.

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  3. Cher ami (e) Mayday,
    Ce post est un résumé du bouquin de Mansour Fahmy, ou plutôt de sa thèse présentée à la Sorbonne. Ce n’est pas vraiment mon opinion. Ce que veut prouver la thèse de cet auteur c’est que l’habit fait le moine, que la société Arabe d’Arabie de l’Hégire devait être structurée et que le « voile » a été un élément de distinction sociale et non sexuelle. J’y trouve tout de même beaucoup de vrai.
    Le Net contient le meilleur et le pire. Je suis obligé de vérifier toutes les informations. C’est pour cela que le rythme de mes posts est si lent. J’ai presque finit la biblio de la suite de cet écrit.
    Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à mon blog. Je ne censure rien (sauf racisme, pédophilie, ou incitation au crime ou à la haine). Vous pouvez donc presque tout écrire.
    Bien à vous.
    MALI
    PS : Nous avons beaucoup de lecteurs non arabophones. Prière de traduire ce que vous écrivez en Arabe. Merci pour eux.

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